Ne nous y trompons pas, cette loi ne vise aucunement à rendre le sort des directeur.rices plus supportable. L’enquête menée par le Ministère à la suite du suicide de Christine RENON n’était encore une fois qu’un subterfuge visant à gagner du temps. Sans quoi, le ministre et ses sbires auraient pris la mesure des enjeux et auraient de suite accédé aux demandes légitimes des personnels : plus de temps, plus de moyens humains et matériels, plus de salaires… Au lieu de cela, voilà que les parlementaires zélés du déconfinement n’ont rien trouvé d’autre qu’un projet de loi faisant entrer par une fenêtre ce que nous avions dégagé par la grande porte l’an dernier lors des grèves et manifestations contre la loi Blanquer et son projet d’EPSF.
Notre grand ministère manipule depuis des semaines à coup d’ordres et de contrordres. Il n’a rien trouvé d’autre que "l’école à la carte" comme le pendant de la réussite d’un déconfinement chaotique qui a fait porter l’essentiel de la responsabilité d’un échec potentiel sur les acteurs de terrain, avec au premier chef, les directeurs.rices. Si ce grand ministère avait voulu se préoccuper d’eux-elles, il l’aurait fait depuis longtemps.
Un simple décret et le gouvernement pourrait faire le choix dès demain, de réévaluer les temps de décharge à la hausse, d’augmenter de manière conséquente les bonifications indiciaires, d’octroyer téléphone et ordinateurs portables professionnels, … Pour cela, nul besoin d’une nouvelle loi.
Mais dans les faits, l’objectif est bien de modifier le fonctionnement de la direction des écoles, pour la rendre moins collective et surtout plus réceptive aux injonctions descendantes.
Les décideurs de la rue de Grenelle, incapables de penser autre chose qu’un fonctionnement hiérarchique vassalique, ne jurent que par le modèle de fonctionnement du second degré alors même que ce dernier montre depuis des années ses aspects délétères sur le pilotage du système.
Nul doute qu’un chef dans les écoles ne fera qu’exacerber les tensions existantes et n’apportera aucune plus value sur le service rendu aux élèves et leurs familles ou sur les conditions de travail des personnels enseignants, ces "adjoints" qui n’auraient plus voix au chapitre.
À tous les collègues directeur-rices qui ne perçoivent que les bénéfices à court terme de l’enrobage, prenez le temps d’analyser en profondeur la dégradation des conditions de travail contenue au cœur de cette loi. Un "emploi fonctionnel", c’est bien la garantie d’être aux ordres sur un siège éjectable, d’endosser des responsabilités accrues, de se voir demander toujours plus avec moins dans la logique des contrats d’objectifs déjà à l’œuvre partout où il faut "rentabiliser" ce qui par nature, ne devrait pas l’être.
Ce qu’on nous propose, ce n’est rien d’autre que l’antithèse du métier. Impossible de construire des relations durables avec les partenaires de l’école, de fonctionner en confiance avec une équipe et avec les parents d’élèves sur un secteur donné si l’on sait être là pour faire marcher la politique "d’en haut" sur un laps de temps donné …
L’Éducation Nationale souffre déjà de cette perpétuelle valse des décideurs qui finalement ne décident plus rien, pilote à vue, enfin surtout au vu de leur carrière, n’ont même pas le temps de comprendre les logiques d’un territoire qu’ils se retrouvent mutés plus ou moins par promotion.
Certes les directeur.rices gèrent déjà beaucoup plus que ce qu’ils-elles devraient, mais dans les faits, règlementairement, rien ne les y oblige. En ce sens que beaucoup de directeur.rices font des choix afin de préserver le fonctionnement des écoles. Et aucun IEN ayant un tant soit peu d’expérience ne vient leur chercher querelle. Et pour cause, eux aussi sont confrontés à ces mêmes choix et se rendent bien compte qu’imposer la charge de travail qui serait nécessaire pour répondre aux "lubies" des ministres seraient destructeur pour l’école.
Avec cette loi, ce ne sera plus possible de dire STOP. Enfin si, à sa fonction !
Yoann Chauvin